Histoire vivante



Enid verch Duncat

(écrit par Morcant) 



Les villageois s'étaient rassemblés au cimetière près de la falaise et on y avait creusé une nouvelle tombe pour y déposer le corps de Conetoc auprès des siens, non loin du tumulus des anciens. Son défunt mari avait été déshabillé et enveloppé dans un drap de lin. Des pierres plates avaient été disposées sur les côtés de la sépulture pour y accueillir le défunt.

La mère de Conetoc pleurait d'avoir perdu son fils, et les autres faisaient mine de se recueillir. Le prêtre chrétien n'avait pas pu faire le déplacement à cause du mauvais temps, aussi ce fut le père de Conetoc qui tenta tant bien que mal de réciter une prière. Les habitants de ce bout de terre du pays de Trigg étaient chrétiens, mais depuis guère longtemps et on s'adressa aussi aux anciens dieux.

Même si elle affichait le masque affligé d'une jeune veuve, Enid était heureuse. Enfin elle était débarrassé de ce mari détestable, ivrogne et querelleur. Elle avait pourtant beaucoup espéré de ce beau jeune homme avant leur union, mais il ne lui avait apporté que malheur et tristesse, et une seule bonne chose. En elle une nouvelle vie était apparue et son ventre s'arrondissait au fil des semaines.

Conetoc avait finalement eu un soir la bonne idée de s'empaler sur son propre couteau lors d'une bagarre. La blessure s'était infectée et Enid avait encore eu à supporter ses râles d'agonie pendant une bonne semaine. Puis enfin, les crapauds d'Anaon avaient pris son âme souillée.

La loi voulait que les veuves retournent auprès de leur père ou de leur frère, mais ses parents avaient été emportés par le froid l'hiver dernier et son frère Ranacor n'était jamais revenu de la guerre contre les Saïs. Elle n'avait plus que ses oncles et cousins. Son cousin Torric avait repris la ferme de ses parents et elle aurait pu vivre auprès de lui mais l'idée ne lui plaisait guère. C'était un idiot fini qui ne sentait guère mieux que ses porcs et qui avait l'intelligence d'une bernique vide.

Sa vieille tante, la femme de Madoc, lui avait parlé de son fils, Guueltas. Guueltas était devenu un grand guerrier au service du prestigieux tiern de Coz Civit, au pays de Letau, de l'autre côté de la mer de Bretagne. Elle pouvait l'y trouver et se mettre sous sa protection, et elle trouverait peut être un nouveau mari de l'autre côté des flots.

Enid passa les semaines suivantes à réunir ses possessions et à se préparer pour le voyage. Elle savait que son avenir était incertain, tant de femmes ne survivaient pas à leurs couches. Sa grossesse était devenu évidente à tous et sa tante lui déconseillait de partir maintenant, lui disant qu'elle pourrait rester auprès d'elle et attendre que l'enfant ait vu quelques Printemps. Mais la proximité du cenedl de Conetoc lui était insupportable et elle ne pouvait plus vivre en ces lieux.

Elle partit donc seule avec sa mule chargée de tous ses biens, et fit la rencontre d'un vieux chef du pays des Silures sur la route. Le vieil homme avait été chassé par son propre fils, et était accompagné du seul guerrier qui lui était resté fidèle. Il avait un visage marqué par la vérole et une mine fatiguée, mais Enid se sentait tout de même plus en sécurité avec des compagnons armés. Ils traversèrent ensemble la Dumnonie, jusqu'à l'embouchure du fleuve d'où partirait le navire qui les porterait de l'autre côté de la mer de Bretagne.

Sur la plage avaient été dressées plusieurs cabanes de branchages et autour des feux les Bretons s'étaient réunis. Un moine vêtu de gris prêchait la parole de Christ. Un barde était assis à l'écart des autres, grattant sa lyre en observant le ciel. Le coracle qui les emmènerait sur les flots était échoué sur la grève de galets, et l'équipage buvait force quantité de bière.

Le lendemain ils montèrent tous à bord du coracle. Enid troqua son passage contre sa mule et un lingot d'étain qu'elle avait obtenu en vendant les quelques têtes de bétail qui lui appartenait en propre. Le barde s'assit à côté d'elle.

Le barde s'appelait Drustan et lui raconta ses voyages. Il partait vers Letau pour trouver un chef qu'il servirait. Elle lui parla de ses déboires et de son cousin Guueltas map Madoc, un guerrier dont il pourrait chanter les exploits. Le temps était clément et la traversée se fit sans encombre.

Letau.

Guueltas avait sa propre maison à l'intérieur de l'enceinte de Coz Civit. Les guerriers qui n'étaient pas mariés dormaient ensemble dans le hall ou dans d'autres bâtiments, mais Guueltas avait épousé Avitoria, la fille d'un fermier ossisme. Avitoria avait accueilli Enid avec joie, et elle avait enfin pu rencontrer son prestigieux cousin.

Qui, aux dires des autres hommes de Coz Civit, n'était pas si prestigieux que ça. Sauf quand il s'agissait de jouer.

Guueltas le bien-nommé était parmi les rares Bretons de la forteresse à arborer une longue chevelure, digne d'un prince barbare, et si critiquée par les prêtres chrétiens. Avitoria raconta à Enid que son mari avait du arrêter de se couper les cheveux suite à un pari.

Il avait aussi probablement perdu un pari pour ne plus entretenir son matériel. Sur une étagère un vieux casque romain était couvert de rouille, et le fer de sa lance comme le umbo de son bouclier n'étaient guère dans un meilleur état.

Le fils de Madoc passait le plus clair de son temps à jouer aux dés avec les autres guerriers. Il s'était attiré les bonnes grâces du tiern Morcant grâce à son talent au gouidpoill où il n'avait pas son pareil et cela lui évitait bien des remontrances.

Cela l'avait aussi protégé de quelques dettes de jeu. Il avait manqué perdre sa maison et ses armes et n'avait pas trouvé de meilleure excuse que de raconter qu'il s'était pris une branche sur la tête et ne se souvenait plus de son pari. Morcant avait offert une tête de bétail aux guerriers qui lui en voulait.

Mais Enid était bien tombée. Son cousin n'était certes pas le valeureux guerrier que sa tante lui avait vanté mais c'était un homme bon et il l'accueillit sous son toit avec joie.

L'enfant vint à naître à Coz Civit à l'approche de la fête d'Imbolc. C'était de bonne augure, l'hiver était passé et sa petite fille avait de bonnes chances de survivre. On ne manquait pas de nourriture à Coz Civit. Les paysans des environs envoyaient boeufs et porcs à la forteresse, la mer et le fleuve offrait quantité de poissons et coquillages et on chassait les oiseaux à la fronde. Les greniers étaient remplis de bon grain et les celliers de viande salée et de pots de miel doux.

Sa fille grandit donc au milieu de cette bande de guerriers turbulents et tapageurs, un peu tous ses parrains à leur manière et l'enfant se montra vite intrépide.

Enid avait trouvé une nouvelle terre et un nouveau cenedl ici, au pays de Letau.




Association de reconstitution historique des Bretons de l'Antiquité Tardive et du Haut Moyen Age.





Dix vilains bretons, un poney et une femme à travers le Menez Are du Vè siècle


récit publié sur le forum Vie Sauvage et Survie le 10 mars 2014


Si vous randonniez à travers les tourbières et le bocage du Menez Are les 8 et 9 mars 2014, vous avez du voir passer un guide et son poney, un homme armé léger, tous les deux engagés pour faire traverser la Letavie (Petite Bretagne) à un groupe de Bretons insulaires du Vè-VIè siècle migrants en Cornubia (Cornouailles).

Nous nous étions chargés que de l'essentiel pour survivre au voyage, des couvertures, des sagum, des cucullus, des birrus et des peaux, quelques abris de toile de lin cirée, de la corde, des haches, des couteaux, un peu de vaisselle en bois, des outres de peau cousue et graissée, des lacets de cuir de rechange, du pain, du lard, du fromage et des pommes, nos briquets et de l'amadou.

En vrai, on a fait 12 bornes dans l'aprem du samedi (et à peine 8 le lendemain), arrivant tôt dans la soirée au lieu prévu pour le campement, on s'est amusé à faire plein de montage différent pour nos abris, une corvée de bois suffisante pour deux jours, et j'ai pioncée comme une reine dans mon palace de lin, de peau de cerf et de couverture de laine, pendant que les copains se les gelaient dans les même conditions.

J'ai pas encore compris ce qui a fait la différence. J'ai même pu donner une épaisseur de couverture au copain frigorifié et tout tremblant à côté de moi (une chance que mon instinct maternel me ramène à l'état de veille régulièrement pendant mon sommeil et que je l'ai senti trembler. Sinon, l'aurait été bon pour l'hypothermie.

D'ailleurs, il a été un peu bête je crois, mais ça doit être du au fait qu'il est tout "jeune" (18 ans), il ne s'est pas collé à moi qui était une vraie bouillotte. Le fait que je sois une nénette (caractère pourri inside) fait qu'il n'a pas osé. Ce qui est très con car avec les autres copains, on s'en fout, si j'ai froid (ou si je glisse sur un terrain en pente), je me prive pas (eux non plus). La prochaine fois, on prévoit de se mettre tous en tas dans mon abri, moi au milieu, ils z'ont eu trop froid, les jaloux.

J'ai grave merdouillé avec l'hydratation le samedi, je l'ai percuté en fin de parcours, quand j'ai eu un gros coup de faiblesse, je me suis retrouvée d'un coup 200 mètres derrière, par moyen de trouver la force pour poser seule ma hotte de (seulement) 15 kg pour prendre ma gourde. Le copain moine (donc qui se faisait porter ses affaires pas les zautres, privilège de moine) m'a rejoint pour m'aider à prendre de l'eau et a marché à mon rythme le temps qu'on rattrape les autres qui m'attendaient à une croisée des chemins.

On a juste eu le cul bordé de nouilles avec ce temps magnifique, des moto-cross sympathiques qui se sont arrêtés et ont attendu en souriant qu'on finisse de passer, des chiens de ferme joueurs... (le seul qui nous a un temps soit peu cherché est parti la queue entre les jambes et en grouicant quand je lui ai gueulé dessus la seule phrase que je prononce bien en breton "Da gousket !")(pauv' clebs )

Équipement & portage
Seule femme de l'épopée, seule en robe longue (la bure du moine était plus courte et fendue sur les côtés), j'ai passé mon temps à relever ma tunique, la faire blouser à la ceinture étant franchement relou et désagréable. Donc, on en a conclu que les robes longues, c'est bien au village, à la maison, mais en voyage ou aux champs, une tunique de femme pratique, c'est une tunique qui descend à mi-mollet mais pas franchement plus bas. Là, j'ai failli finir la tête dans la tourbière en marchant sur le devant de ma robe . (oui, ça m'a beaucoup fait rire, même sur le coup où c'était quand même un rien relou)

En revanche, je ne souhaite pas porter des braies d'homme, la régulation thermique avec une robe, c'est juste top, jamais trop froid, jamais trop chaud.

J'empile les couches de la façon suivante :

- une camisa en chanvre, sans manche, ample, jusqu'aux genoux (un sac à patates doux et souple, avec des trous pour les bras, en gros)

- une première tunique de chanvre, longue jusqu'aux bas des chevilles, ample, manches longues et étroites

- une seconde tunique de laine, sur le même modèle

Sous le soleil et en marche, j'enlève la tunique de laine que je remet dès qu'on s'arrête même si j'ai chaud. 

Arrivée au campement, j'ai enfilé ma robe de laine, mais aussi mon birrus, juste pour sécher à l'abri du vent, et j'ai ôter le birrus un quart d'heure plus tard pour faire la corvée de bois, le montage des tentes, etc... Je ne l'ai remis que dans la soirée.

Je porte des chaussettes courtes tricotées à l'aiguille, et des carbatinae éprouvées. Il me manquait une troisième paire de chaussettes pour être vraiment confort, et faire un roulement une paire le premier jour, une seconde la soirée dans les chaussures encore humides pendant que les premières sèchent, et une troisième dans la nuit pendant que les secondes et les chaussures sèchent. Là, j'ai fait une paire journée & soirée, et la seconde paire pour la nuit et le lendemain, et j'ai eu froid aux pieds pendant la veillée, ce qui est fort désagréable.

J'avais envisagé la claie pour le portage, mais par manque de temps pour fabriquer et tester, j'ai pris ma hotte d'osier. Elle est un peu étroite, et pour augmenter le volume d'emport, j'ai créer un haut tube avec ma peau de cerf. J'ai tassé mon énorme couverture de laine moutmout au fond (je suis montée dessus pour bien tasser, la grande classe j'vous dit !), et puis mis les deux sacs contenant la nourriture et les bricoles (lacets, chaussettes, couteau, savon), la gourde, et j'ai refermé et protégé le tout avec mon birrus. Le tout faisait 15 kg, avec nourriture pour deux jours et 1,3 litre d'eau dans une lourde gourde de cuir cirée.

Il faut que je change le cuir des bretelles pour du tanné végétale de 3 mm (là, c'était une vieille ceinture très épaisse, rigide, teinté/tanné chimik, presque 4 mm d'épaisseur), et je vais y coudre de la peau poilue de moutmout douillet pour éviter de m'abimer à nouveau la clavicule droite. Parce que vieux syndrôme rotulien mis à part, c'est le seul bobo (pas vraiment grave mais bobo quand même) que j'ai eu et qui fait fié, mais vraiment fié, parce qu'il s'agit d'un tout petit cal osseux pile à l'endroit où s'appuie le bord de la bretelle.

Ma toile de lin de 3 mètres par 3 (640 gr par mètre carré) et la corde de lin, 6 kilos en tout, étaient portées par le poney.

Pour être autonome par rapport aux garçons, il me manquait une hachette, que j'ai emprunté pour fabriquer piquets et mât pour l'abri. Mais ça, ce n'est pas un problème, juste une solution qui sera résolue avant la prochaine sortie par un détour chez un forgeron.

La théorie du gros appliquée à l'allumage du feu : si les garçons s'amusent à tapoter le silex de leur briquet pour faire des petites étincelles pour faire des petites braises sur l'amadou, le don ancestrale de la gardienne du foyer fait qu'en frappant fort deux fois mon silex de mon briquet pour faire deux grosses étincelles pour faire une grosse braise sur mon ch'ti bout d'amadou, et bien je suis plus rapide et efficace sur ce coup là. Mais ce n'est pas la première fois que je le remarque. Une copine qui fait à la même technique m'a dit un jour "Je n'ai pas de temps à perdre avec ces conneries, je veux manger chaud".

Enid


Association de reconstitution historique des Bretons de l'Antiquité Tardive et du Haut Moyen Age.

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